Juliette RAMPNOUX
Travail Personnel d'Etude et de Recherche (TPER) - Janvier 2024
RECONSTRUIRE APRES LA CATASTROPHE :
la place des habitants et de leur attachement au paysage
ETUDE DU PROCESSUS DE RECONSTRUCTION DES VALLEES DES GAVES (65) DE 2013 A AUJOURD'HUI
La dernière année d’étude à l’Ecole Nationale d’Architecture et de Paysage de Bordeaux nous permet d’acquérir des compétences de recherche et nous offre toujours plus des possibilités quant à la diversité des pratiques paysagistes. Le TPER ou Travail Personnel d’Etude et de Recherche est une initiation à la recherche qui nous invite à nous interroger autour de sujets émergents dans le domaine du paysage. Etant à la croisée de nombreuses disciplines, cet exercice est une occasion d’explorer des notions plus larges que le paysage tel qu'on l'aborde en projet.
Dans cet écrit, je me suis intéressée à la dimension intangible du paysage dessinant les contours d'un paysage social et émotionnel de celui-ci. Le choix de mener ce travail autour de l’attachement des habitants à un paysage provient de
mon intérêt tout particulier pour la notion de paysage sensible et de paysage invisible. Ensuite, notre sensibilité à l’actualité climatique et à l’intensification des catastrophes naturelles est croissante. C’est pour cela que j'ai décidé d’étudier un cas plutôt récent et qui m'est proche. J'espère avec cet écrit sensibiliser les lecteurs aux conjonctures climatiques actuelles et éveiller leur curiosité quant à l’environnement qui les entoure.
Pour finir, depuis le début de mes études, j'ai un attrait particulier pour les démarches de projet qui incluent une participation et un échange direct avec ceux qui pratiquent le lieu. J'espère donc également pouvoir montrer la portée sociale que peut avoir un projet de paysage et ainsi le mettre en pratique dans mes projets professionnels.




INTRODUCTION GENERALE
LE PAYSAGE
Le paysage est une notion complexe décrite d’autant de manières que d’individus s’y intéressant. Il est le point de rencontre de beaucoup de disciplines et c’est ce qui en fait, en partie, son attractivité. Le paysage se définit d’abord dans sa dimension matérielle et visuelle comme une étendue spatiale qui s’offre à l’observateur, une vue d’ensemble. Depuis quelques années, une autre dimension lui est donnée. En effet, il ne se cantonne plus à une juxtaposition d’éléments qui s’étend devant nos yeux mais il se définit aussi par l’univers social, historique et politique qui gravite autour. G.Bertrand (1978) décrit d’ailleurs le paysage comme « un système qui chevauche le naturel et le social. Il est une interprétation sociale de la nature ». Par cette définition, il inclut dans la notion de paysage le subjectif, l’objectif, le matériel et le culturel, le réel et le symbolique mais aussi le spatial et le temporel. Cela donne alors de nouvelles perspectives dans l’étude et l’observation de celui-ci. En réalité, le paysage vient à être considéré comme un système complexe de relations entre les éléments qui le composent, les acteurs qui l’investissent et le temps qui s’écoule.
L’ATTACHEMENT ET LA RECONSTRUCTION
Ces relations font évoluer les paysages tous les jours. En effet, des transformations physiques ont lieu régulièrement, les marquant parfois temporairement ou de façon pérenne. Ces transformations, dues à des facteurs naturels ou anthropiques, ont également un impact sur les pratiques et les usages associés à ces paysages, sur leur équilibre social et écologique. Les transformations physiques que nous évoquons ici sont des phénomènes de catastrophes naturelles. Ces événements à caractère exceptionnel sont le plus souvent choquants, inattendus, courts et intenses. Ils peuvent être dévastateurs matériellement, parfois humainement et sont traumatisants pour les populations qui les vivent. De ce fait, ils impliquent un processus de reconstruction complexe incluant divers enjeux sociétaux, économiques et temporels. Ce processus nous a particulièrement interpellés.
Au travers de nos lectures, nous avons vu qu’il existait de multiples manières de concevoir des projets et de procéder à une reconstruction. Une notion commune rassemble tout de même tous ces processus : la mémoire. En effet, la mémoire est un enjeu souvent questionné dans les travaux de recherches qui traitent la reconstruction. Elle occupe la majorité des débats partageant souvent les populations de façon binaire puisqu’elle impose de se positionner d’un côté ou de l’autre : conserver pour commémorer ou transformer pour oublier. Nous avons réalisé ensuite que les réponses variaient en fonction de l’attachement que les personnes pouvaient porter à un lieu. Les habitants de longue date connaissent leur territoire par cœur. Ils peuvent raconter son histoire et décrire sa singularité. Ils y sont fortement attachés et sont bouleversés lorsqu’une catastrophe vient le dévaster. D’autres habitants, installés depuis peu ou visiteurs occasionnels, vivent les paysages en apprenant à les connaître et en entendant des bribes d’histoires. Nous aurions tendance à penser que les plus attachés à leur territoire seraient les plus ardents défenseurs de la mémoire et pourtant, nos recherches nous ont parfois prouvé le contraire. Nous pouvons également penser que les habitants ont une certaine facilité à exprimer leur attachement et à montrer leur fierté d’appartenance à un territoire et pourtant, encore une fois, nos lectures nous ont montré l’importance de nuancer ces notions.
Notre décennie est troublante. En effet, le changement climatique est au cœur de l’actualité. Les évènements climatiques sont plus intenses : les pluies torrentielles sont plus conséquentes, les vents plus violents, les chaleurs plus lourdes, la fonte des glaces plus rapide... En résumé, les catastrophes naturelles sont de plus en plus régulières et s’accélèrent. Ces données sont confirmées par les différents rapports du GIEC publiés régulièrement. Par conséquent, les collectivités, les populations, ainsi que les professionnels de l’aménagement, seront dorénavant confrontés plus souvent à des processus de reconstruction post-catastrophe naturelle. Il nous a donc semblé important d’en comprendre les enjeux économiques, sociétaux et spatiaux de façon à les anticiper et à mieux réagir.
C’est dans ce cadre-là que nous avons approché la notion complexe de l’attachement paysager et que nous en avons fait l’objet de nos recherches : L’attachement paysager au cœur de la reconstruction post-catastrophe naturelle.
LES OUVRAGES DE REFERENCES
Trois ouvrages principaux ont guidé notre travail de recherche. Le premier, ouvrage collectif publié en 2022 et titré Attachements et changement dans un monde en transformation, nous a permis d’aborder les notions d’attachement dans un contexte contemporain de transformations régulières presque quotidiennes. Les premiers termes clés se sont peu à peu définis grâce à cet ouvrage. Les références bibliographiques de celui-ci ont été importantes pour nos recherches. En effet, elles nous ont dirigé vers d’autres écrits consolidant les bases introduites par l’ouvrage collectif.
Ensuite, dans son ouvrage Le lien entre le paysage des cinq sens (gokan no fūkei 五感の風景) et la vie quotidienne du furusato (2020), Naoto Tanaka nous exprime l’importance des paysages du quotidien et insiste sur la résilience habitante. Nous nous sommes donc naturellement nourris de ses mots pour enrichir notre écrit. De surcroit, l’auteur a vécu un séisme lors de son séjour au Japon en 2016. Etudiant le thème spécifique des catastrophes naturelles, nous nous sommes largement inspirés de son expérience et des méthodes qu’il a observées et testées sur le terrain pour proposer des positionnements paysagistes alternatifs et innovants.
Pour finir, Léa Sébastien dans son ouvrage « L’attachement au lieu, vecteur de mobilisation collective ? » (2016) nous a permis d’acquérir une méthode d’enquête très précise. Nous nous sommes en effet appuyés sur sa méthode de l’Acteur en 4 Dimensions et sur ses grilles d’entretiens pour construire les nôtres. Nous sommes partis de certains de ses constats afin de nous aider dans la validation de nos hypothèses de recherche. Cette autrice nous a donc majoritairement aidée à construire notre cheminement de pensée tant au niveau du travail sur le terrain que dans la construction de cet écrit.
LES VALLEES DES GAVES
Une étude de terrain nous semblait indispensable pour éclairer notre recherche et vérifier nos hypothèses. Partant de l’hypothèse que la place de l’attachement est à considérer et qu’elle est primordiale dans un processus de reconstruction, nous avons tout d’abord cherché un terrain qui nous permettrait de valider cette hypothèse de recherche. Cependant, pour des questions pratiques et de proximité, nous nous sommes finalement appuyés sur le cas des communes de Barèges et de Luz-Saint-Sauveur. Ces communes ont subi de fortes inondations dans la nuit du 17 au 18 juin 2013. Le processus de reconstruction est en cours depuis de nombreuses années maintenant, ce qui nous permet d’avoir un certain recul sur les évènements et les solutions apportées. De plus, encore aujourd’hui, des projets en lien avec la reconstruction sont en cours, ce qui nous permet de comparer les différentes méthodes de travail entre l’urgence du lendemain de la catastrophe et la reconstruction sur un temps plus long, des années après. Dix ans représentent également un délai significatif pendant lequel les habitants et ex-sinistrés ont pu prendre de la distance par rapport aux événements. Certains peuvent en parler, d’autres non, de nouveaux habitants se sont installés, d’autres sont partis. Dix ans renvoient aussi à une temporalité pendant laquelle les paysages ont été transformés par d’autres événements naturels ou anthropiques à plus petite échelle. Nous pourrons donc, grâce à cette étude de cas, observer toutes ces évolutions et en comprendre les rouages. Nous analyserons comment les populations habitantes se sont (re)familiarisées avec les nouvelles formes paysagères générées par les inondations et le processus de reconstruction.
CHEMINEMENT DE RECHERCHE
Pour présenter nos recherches et leurs résultats, nous commencerons par définir les notions clés que sont l’attachement et la reconstruction. Pour cela, nous nous référerons à des écrits de scientifiques de différents domaines (géographes, paysagistes et sociologues) de diverses époques afin de poser des bases théoriques sur ces termes.
Dans une deuxième partie, nous décortiquerons le processus de reconstruction post-crues de 2013, dans les Hautes-Pyrénées. Nous analyserons d’abord les étapes du processus puis nous chercherons à comprendre quelle place l’attachement paysager a occupée et ce qu’elle a éveillé chez les habitants (émotions, mobilisations, actions).
Pour terminer, nous mettrons en parallèle les résultats de l’étude de cas et les différentes théories étudiées dans la première partie. L’objectif sera de proposer des pratiques paysagistes adaptées aux enjeux de la reconstruction mettant au centre l’habitant et son attachement.